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- Impossible Summum -
C'était trop stupide, de finir comme ça...
J'étais revenu à la capitale après quelques jours
en province, et je fêtais le bon déroulement de mon voyage
avec des amis dans un bar. J'avais trop bu, et suis resté jusqu'à
tard après que tous mes amis soient partis. Ivre à
mourir, je me suis engagé dans une bataille de bistrot que deux
bandes ennemies ont commencé, et je fus poignardé au ventre.
Perdant tout mon sang, je finis échoué dans un caniveau en
ayant fui les secours, craignant qu'ils ne m'accusent des actions que je
n'avais pas faites... mais je ne pus survivre bien longtemps... le poignard
m'avait traversé le cœur, et la chaussé m'est subitement
apparue très, non, plutôt trop près de mon visage.
Le néant, l'obscurité, le vide... La
mort, c'etait cela... Je sentais mon esprit flotter, sans forme ni volume,
sans exister, dans l'oubli. Je n'avais jamais ressenti cela, mais au fond
de moi même, je savais que je ne faisais plus partie des vivants.
Je n'etais que mon essence, sans matière, sans vie... Un être
qui n'existe plus...
Tel a été mon état pendant longtemps,
mais je ne saurais déterminer combien de temps est passe exactement...
toute sensation avait disparue... Tout d'un coup, j'entendis... non, je
sentis une vibration stridente et répétitive. Un message
a traversé le vide, destiné a quelque chose que je ne pouvais
pas percevoir.
- "Alerte: défaillance dans l'unité
de restauration."
Il s'ensuivit une sensation encore plus étrange,
celle d'un esprit qui se désagrège particule par particule:
mon être devenait de plus en plus infime, jusqu'à disparaître
totalement.
- "Effacement terminé."
Mes sens se sont éveillés dans ce que
je sentis être une pièce. Le plus étrange était
que je ne pouvais pas la voir, mais plutôt la sentir. J'ai connu
instantanément chaque détail des murs, ainsi que l'emplacement
de tous les objets présents à l'intérieur. Je me souvenais
vaguement que j'étais supposé avoir deux jambes, deux bras,
un corps, et une tête. Ainsi que des yeux. Mais je sentais aussi
ma forme. J'étais un globe d'énergie lumineuse, sans aucune
forme physique. Le plus troublant, peut-être, était que cette
forme m'était totalement familière.
Je n'arrivais pas à me souvenir de mon nom,
mais cela importait peu à présent. Je supposais que j'étais
mort, et que ceci était une sorte de vie postérieure. Instinctivement,
j'ai ordonné l'ouverture d'une brèche dans le mur, où
je sentis l'apparition d'une sphère transparente qui était,
je crois, un ersatz de vêtement. Quand j'y suis entré, j'ai
instantanément pris le contrôle d'une espèce de véhicule
en forme de cube, qui m'a emmené vers l'extérieur. Le ciel
était d'une étrange couleur, mais j'étais incapable
de la définir. En tous cas, j'avais comme l'impression qu'il avait
toujours été comme cela, en dépit des cinq lunes qui
se profilaient à l'horizon.
J'aperçus au loin d'autres cubes se déplacer,
à l'intérieur desquels je pouvais sentir la présentes
d'autres globes énergétiques. Probablement des êtres
comme moi. Je n'ai pas essayé d'établir le contact, et me
suis rendu compte que je dirigeais mon cube à un endroit précis,
qui m'a semblé connu depuis toujours. Je me suis arrêté
exactement devant.
C'était une gigantesque pyramide, qui se perdait
dans les cieux. Elle n'avait pas de couleur définie, et un des côtés
était plus lisse que les autres: l'entrée s'y trouvait. Une
fois que je fus sorti du cube, une brèche s'ouvrit sur un flanc
de la pyramide et me permit d'y accéder. Je me suis retrouvé
face à un long couloir ascendant, qui donnait sur plusieurs pièces
individuelles. Je savais précisément où aller, mais
j'ignore comment cette connaissance m'est venue. Comme tout le reste de
ces intuitions, c'était comme si je m'étais souvenu de quelque
chose que j'avais l'habitude de faire, en revenant à un endroit
que j'avais quitté il y a très longtemps. J'eus vite fait
d'atteindre ma destination, une espèce de dodécaèdre
orné d'un cylindre creux, qui constituait l'entrée. Je m'y
engloutis, pour arriver à une large pièce hexagonale, au
fond de laquelle un globe énergétique s'affairait autour
d'instruments cristallins de mesure.
L'entité énergétique sentit
ma présence, et émit une salutation.
"Hexalpha, chère entité amicale. Bienvenue
de nouveau parmi nous."
Je savais que cette énergie me connaissait,
mais j'étais incapable de me rappeler de qui il s'agissait. Mes
souvenirs m'ont seulement permis de me diriger vers cet endroit. Et quelque
chose me disait que je n'étais pas supposé être ni
une femme, ni une 'entité', ni ce Hexchose.
Je ne pus qu'émettre un doute.
-"Qui... qui êtes vous ?"
L'énergie détecta la sincérité
de ma question, et émit brièvement une sensation de terreur.
Elle le dissimula très rapidement, cependant le bref éclair
qui avait jailli de cette sphère était très net à
mes sens. Elle se dirigea lentement vers un côté de la pièce,
en émettant des ondes d'apaisements.
-"Ne t'en fais pas, tu t'en souviendras bientôt."
Elle fit s'activer une espèce de coupe renversée,
ce qui eût pour effet l'apparition de quatre autres énergies
quelques instants plus tard. La sphère principale émit à
nouveau, en direction des quatre nouveaux venus.
"Entités Gardiennes, cette entité a
subi une dégénération lors de la restauration. Veillez
à ce que cela soit remis en ordre le plus tôt possible."
Les quatre énergies m'ont emprisonné
avec une sorte de rayon, qu'elles ont émis depuis leur intérieur.
J'ai tenté de m'en dégager, mais cela ne faisait que renforcer
l'intensité du rayon qui me tenait prisonnier. Les quatre énergies
m'ont ensuite emmené à l'extérieur et placé
dans un grand cube translucide. Je fus emmené contre mon gré
à un endroit que je reconnus être celui où je m'étais
éveillé.
Je fus enfermé dans une grande sphère
noire. Malgré sa couleur, je pouvais percevoir ce qu'il y avait
à l'extérieur. Une pièce de forme pyramidale, avec
une base carrée. Je n'arrivais pas à bien distinguer des
détails de cette pièce, la seule chose que pus sentir avec
certitude était la présence de trois grandes sources d'énergie.
Comme ils restaient immobiles, je ne me suis pas rendu compte immédiatement
qu'il s'agissait encore d'autres entités énergétiques.
Mais l'une d'elles se mit à émettre.
"C'est un cas intéressant. Aucune anomalie
semble être présente dans la structure des particules énergétiques
élémentaires. Sa structure externe est donc intacte et opérationnelle."
Une deuxième répondit.
-"De plus, cette Entité ne semble pas
défaillante intérieurement. Son énergie est au niveau
normal."
Elles se turent à nouveau, et restèrent
ainsi pendant quelques instants. Je me rendis subitement compte que la
raison de ce silence était qu'ils sondaient mon être.
Finalement, la troisième sphère s'avança
et émit en ma direction.
-"Pouvez vous nous dire votre nom ?"
J'ai hésité un peu avant de répondre.
-"Non. Je ne sais pas comment je m'appelle."
Une fois reçues ces émissions, la troisième
entité activa à distance un dispositif translucide. Subitement,
de nombreuses sensations se mirent à traverser les parois de la
sphère noire qui m'emprisonnait. Le nom de "Hexalpha" y revenait
souvent. Je ne comprenais pas la plupart de ces sensations, mais je sentis
cependant que c'était une sorte de projection d'expériences
et informations. Cela était confus au départ, mais quand
la confusion s'est dissipée, la vitesse à laquelle ces informations
défilaient dans mon esprit commençaient à me brûler.
Je sentis mon esprit prendre feu, comme un morceau de bois attisé
par une friction violente. Cela généra une douleur insupportable.
Je criais de désespoir.
-"Arrêtez ! Arrêtez !"
Les trois énergies observatrices se mirent
à émettre à toute vitesse.
-"L 'assimilation semble être inférieure
à un pour mille."
-"Ce n'est pas normal. Si sa structure interne est
intacte, elle ne devrait pas avoir du mal à les percevoir."
-"Attendez, je détecte une rapide baisse d'activité
énergétique au niveau interne !"
-"Mais, c'est totalement impossible !"
La douleur était si grande que je perdis subitement
connaissance.
Je sentis l'apparition de ma conscience dans l'obscurité.
Quelque chose émettait, au loin.
"…probablement pas restaurer entièrement,
mais la faire replonger dans Terra pourrait nous aider à étudier
comment l'anomalie a pu se produire."
Sur ces émissions, quelque chose activa une
machine, et le néant mis à se déplacer… comme si c'étaient
des vagues provoquées par une grande masse jetée à
l'eau. Je sentis ces vagues avoir un effet sur mon esprit, pour ensuite
me sentir projeté à une vitesse démesurée dans
un tourbillon qui traversait l'existence même de la matière.
Le soleil dans un ciel bleu.
Un éclair de lumière attaqua mes yeux,
et par réflexe me suis protégé les yeux avec ma main.
Je me sentais bizarre. J'étais couché sur une surface dure,
à l'extérieur. Une brise légère et fraîche
narguait ma peau. Et même si quelques instants auparavant j'étais
quelque chose de totalement différent à un humain, je ne
pouvais pas m'empêcher de me considérer, de me sentir, comme
tel. Etait-ce un rêve ? Toujours est il que quand je retirai ma main,
une jeune femme me regardait avec amusement.
J'aurais encore du mal à la décrire,
non pas parce que je ne m'en souvienne pas, mais parce qu'elle n'avait
aucune particularité. Elle ne semblait que ce qu'elle était,
une jeune femme. Comme si j'avais été incapable de voir une
autre de ses particularités comme la couleur de cheveux, ses yeux,
ou sa taille.
Elle s'adressa à moi.
"Tu comptes rester longtemps jeté sur le trottoir
comme ça ?"
Je me suis assis, et sentis une vive douleur dans
mon torse. Un couteau y était enfoncé, très profondément.
J'avais beaucoup saigné. Hébété, je portai
mes deux mains au couteau. La fille continua à me narguer.
"Enlève-toi ce truc, ça fait désordre."
Je me suis arraché le couteau, qui était
complètement couvert de sang coagulé. J'ai essayé
de sentir ma blessure, mais elle n'était plus là. Aucune
cicatrice était présente, comme si la blessure n'avait jamais
existé.
"Ne fais pas cette tête là, c'est normal
que ça soit comme ça. Sinon, t'aurais pas pu revenir."
Je me rendis compte avec horreur que la fille semblait
avoir un lien avec ce que j'avais rêvé.
"Hou, on dirait que t'as vu la mort en face !"
Je me suis relevé, maladroitement, et j'ai
commencé à m'éloigner de la jeune femme le plus rapidement
possible. Je ne pouvais pas courir, toutes les articulations de mon corps
me faisaient souffrir, mais je tentais quand même de m'éloigner
désespérément de cette femme, ou quoi que ce soit
d'autre.
"Attends !"
Je trébuchai. Je ne pouvais qu'implorer cet
être de partir.
-"Laisse moi !"
-"Bon, si tu veux. Tant pis pour toi, j'aurais pu
t'aider."
Sur ces mots, elle commença à s'éloigner.
Plus calme, mais toujours haletant de terreur, je me suis retourné
pour la contempler. Avant de disparaître dans une ruelle, elle se
retourna, et cria en ma direction:
-"N'oublie pas qu'il y a d'autres comme toi ! Mais
aussi que les Juges viendront te chercher !"
J'étais épuisé et horrifié.
Je ne fis pas attention à ces mots, qui revinrent à l'esprit
beaucoup plus tard. J'avais retrouvé un portefeuille dans ma poche,
contenant ma carte d'identité. Je m'appelle François Trovin,
et j'ai vingt sept ans. Je vis dans un appartement du centre de Paris,
dans le onzième arrondissement. Puis je me souvins automatiquement
du reste. J'étais marié. J'avais dit à ma femme que
j'allais être en dehors de la capitale pendant quelques jours. Je
devais revenir aujourd'hui.
Ma femme est arrivée quelques heures après
que je soie rentré chez moi. Je m'étais lavé, et changé
pour faire disparaître toute trace de sang qui subsistait sur mes
vêtements. Je pris ma femme dans mes bras, plus fort que d'habitude.
Jj'avais besoin de la sentir contre moi, de sentir quelque chose de réel.
Je n'étais plus sûr de rien. Ma femme rigola.
-"Eh, attends au moins ce soir ! Aide-moi plutôt
à nous faire à manger…"
Le reste de la soirée s'est passé sans
grande histoire. Je n'étais pas trop d'humeur à parler, et
je sentais une terrible dépendance envers ma femme. Elle et mon
amour pour elle étaient les seules choses qui m'empêchaient,
je pense, de sombrer dans la folie. Je ne lui ai pas parlé de mon
incident de la nuit dernière. Tout semblait rentré dans l'ordre.
Je me suis juré d'aller voir un psy le plus tôt possible dès
que j'en aurai l'occasion. Mais la suite des événements ne
m'en a pas laissé.
Cette nuit-là, j'avais commencé à
faire l'amour à ma femme quand soudain elle se raidit. Je m'arrêtai,
aussitôt, pensant qu'elle avait un malaise. Je lui ai demandé
ce qui ne allait pas. Comme elle ne répondait pas, je me suis un
peu écarté pour bien la voir. Elle me regardait fixement,
avec des yeux durs. Elle ouvrit la bouche, et une voix qui n'était
pas la sienne se fit entendre. Quelque chose en moi m'indiquait que cette
voix n'existait pas physiquement, et qu'elle s'adressait directement à
mon esprit.
"Hexalpha, il est temps de revenir !"
Une lumière se mit à jaillir de ses
yeux et du fond de sa bouche. Avec horreur, j'ai sauté du lit et
me suis dirigé vers la sortie, en attrapant quelques vêtements
et en les enfilant une fois dehors, enfermé dans l'ascenseur qui
descendait vers le rez-de-chaussée. Quand je traversais le hall
d'entrée, la même voix jaillit du haut parleur de l'interphone.
"Tu ne peux pas échapper à ce que tu
es !"
Je me suis élancé dans la nuit. Derrière
moi, je sentais le regard de ma femme me fixer depuis le balcon. La voix
avait disparue, et au loin j'entendais celle de ma femme, qui m'arrivait
directement à mon esprit, comme la précédente.
"Ecoute les Juges, Hexalpha."
C'en était trop. Je courus de toutes mes forces
jusqu'à tomber d'épuisement, au bord d'un des ponts de la
Seine.
La ville illuminée se reflétait dans
l'eau, et je me suis penché pour contempler mon reflet. J'avais
l'air normal, si l'on excepte l'épuisement. J'étais clairement
devenu fou. J'ai failli tomber à l'eau quand un autre visage se
pencha a côté de moi. C'était la jeune femme que j'avais
vu ce matin.
"Tiens, comme on se retrouve !"
Je me mis à reculer, et me suis heurté
à un mur.
-"Non, éloigne toi !"
La fille posa une main ferme sur mon bras.
-"Calme toi, je ne fais pas partie des Juges."
Je ne savais pas quoi faire, ou dire.
-"Je… je… je suis vivant !"
-"Mais oui, bien sûr que tu l'es. Sinon tu
ne serais pas ici à te les geler. Allez, viens, suis moi."
Je me suis laissé entraîner, elle était
la seule personne qui semblait savoir ce qui m'était arrivé.
On a marché longtemps, en silence. A chaque
fois que j'essayais de poser une question, la fille me répondait,
moqueuse, que je saurai tout en temps voulu, mais qu'il était maintenant
nécessaire de se cacher. Nous sommes entré dans un grand
bâtiment qui semblait abandonné, et nous mîmes à
descendre des escaliers. Je ne saurais dire combien on a descendu, mais
cela semblait à un labyrinthe. Il s'agissait Probablement d'anciennes
catacombes. Une porte poussiéreuse apparut dans une des parois.
La fille sortit une clé de sa poche, et l'ouvrit.
"Bienvenue chez moi !" me dit-elle en m'invitant
à y entrer.
L'intérieur était comme la jeune femme:
d'une description insaisissable. Tout paraissait… étrangement normal.
Si on n'était pas plusieurs mètres sous terre dans des sortes
de catacombes, j'aurais pensé qu'il s'agissait d'un studio comme
un autre dans n'importe quel appartement. Un lit était rangé
sur le côté, faisant face à une sorte de petit bureau
surplombé d'une étagère remplie de livres. Une petite
cuisine composée d'un frigo, d'un four et d'un évier étaient
placés à côté d'une porte qui, entrouverte,
laissait voir partie de la salle de bains. La fille me fit m'asseoir sur
le lit, et fit chauffer une tasse de soupe qu'elle me tendit. Elle en prit
une autre pour elle. Je bus quelques gorgées, en silence. De la
soupe aux poireaux et pommes de terre. Toute cette banalité me semblait
apaisante, même si on était au milieu des catacombes.
"Bon", dit la fille, "je t'écoute. Je pense
que tu veux quelques explications."
-"Euh…"
-"N'aie pas peur. Je te l'ai dit, je ne fais pas
partie des Juges, et je devine très facilement ce qui t'est arrivé."
J'ai hésité pendant longtemps avant
de parler. Finalement, les yeux rivés sur ma tasse, j'ai commencé
à décrire ce que j'avais vu, très lentement.
-"Il y avait… ces sortes de tours en verre… et puis
ces boules d'énergie qui me parlaient…"
La fille m'a interrompu:
"Est-ce qu'ils t'ont donné un nom bizarre
?"
Je fus surpris par cette question. En effet, c'était
le cas. Je levai le regard, et tentai de me souvenir.
-"Euh… quelque chose comme Eksafa, ou Elalfa."
Le visage de la fille fut pris par un masque de stupeur.
"Hexalpha ?"
-"Euh… oui."
-"Mais ce n'est pas possible ! C'est vraiment toi
Hexalpha ? Je veux dire, ils t'ont vraiment nommé comme ça
?"
Plus j'y pensais, plus j'en étais sûr.
-"Oui."
-"Bon, je pense qu'alors je ferais mieux de me présenter.
Je m'appelais Tripi, et je faisais partie des Entités Gardiennes.",
elle me vit frémir de terreur, "Non, attends, rassure-toi, je n'ai
rien a voir avec celles que t'as vues. J'ai plongé définitivement
dans Terra depuis plus longtemps que ça."
Je n'ai pas compris ce qu'elle voulait dire en ce
temps là, mais j'eus l'impression que mon inconscient se sentait
plus à l'aise.
"Ecoute…", elle continua, "si je t'expliquais tout
maintenant tu n'en comprendrais pas un mot. Tu comprendras assez vite ce
qui t'es arrivé. D'ailleurs, il m'est arrivé la même
chose il y a longtemps. Seulement, comme je ne comptais pas autant que
toi, Hexalpha, pardon, François, pour les Juges, ils ne l'ont pas
remarqué, et j'ai été replongée dans Terra
sans qu'on ait rien remarqué."
J'avais entendu ce nom trop longtemps
-"Mais, que sont ces Juges ? Et que signifie plonger
dans Terra ?"
La jeune femme sourit, puis sembla lasse. De cet
air las, elle m'expliqua evasivement.
-"Nous plongeons tous dans Terra tôt ou tard.
Les Juges veillent à ce que les règles du plongeon soient
respectées."
-"Les règles ?"
-"Chacun est libre de faire comme il l'entend, mais
quand le temps de plongeon est terminé, il faut revenir. C'est pour
ça qu'ils te cherchent."
-"Mais j'étais… ailleurs… et j'avais autre
forme…"
La fille reprit un air sérieux.
-"Avant de continuer, est-ce que tu acceptes ce que
t'as vu ?"
-"Le fait d'être une sphère d'énergie
?"
-"Exact."
Je ne savais pas quoi penser exactement.
-"Est-ce que c'était réel ?"
-"Oui."
-"Alors je l'accepte. J'ai perdu toutes mes certitudes."
-"Tu es juste sorti du plongeon et redevenu Hexalpha.
Cependant, pour une raison que j'ignore, ils t'ont fait plonger à
nouveau. Apparemment, ils veulent maintenant t'en faire sortir encore une
fois."
Je restai silencieux. La fille ne parlait pas, elle
semblait gênée. Finalement elle me posa une question :
"Est-ce qu'ils ont mentionné une sorte
de problème, ou de défaillance ?"
-"Euh... je ne sais pas."
-"Bon, il n'y a qu'un seul moyen de le savoir. Viens."
Elle se leva et se dirigea vers la porte. Je fis
de même. Une fois dans les couloirs, elle referma la porte à
clé et me fit marcher à travers un labyrinthe de tunnels.
Finalement, on arriva à ce qui semblait faire
partie des égouts. Un escalier menait vers la surface, nous y sommes
montés. On est sorti par une sorte de bouche d'égout ouverte,
qui donnait à l'intérieur d'un bâtiment sombre. Les
grandes fenêtres étaient clôturées par des planches
en bois, et le peu de lumière qui s'y filtrait laissait voir quelques
restes de vitraux. Le bâtiment était une ancienne église.
La jeune femme, Tripi, me fit signe de m'asseoir sur un banc, et elle se
concentra pour quelque chose pendant quelques instants. Je n'ai pas osé
l'interrompre. Quand elle eût fini, elle me dit qu'elle avait appelé
d'autres Plongeurs permanents, et qu'ils ne tarderaient pas à arriver.
Quelques instants plus tard, une demi-douzaine de
personnes étaient arrivés. C'étaient des gens de tout
âge, sexe et origine. Il y avait des clochards habillés en
lambeaux, de grands cadres qui sentaient le parfum cher, une mamie, et
même trois jeunes gens, deux femmes et un homme, qui avaient l'air
normal. Tous étaient silencieux, en attendant que Tripi parle. Finalement,
elle prit la parole.
"Amis Permanents, voici un de nous qui est perdu.
Il ne se souvient de rien, comme nombre d'entre nous. Je vous ai appelés
pour que vous m'aidiez à lui rendre la mémoire."
Elle se tourna vers moi.
"Ne t'en fais pas, tu dois juste te relaxer et te
concentrer sur ce que t'as vu."
J'entrepris de faire ce qu'elle me dit, mais je ne
pus me concentrer beaucoup du fait qu'une lumière vive se mit à
jaillir du fond de la salle.
Un vent terrible emplit l'ancienne église.
Quelque chose… d'ailé était apparu avec la lumière.
Je ne suis pas croyant, mais cela était sans aucun doute un ange.
Il me regarda, et me parla d'une voix douce.
"Viens, François. Tu dois revenir là
où tu appartiens."
-"Ne l'écoute pas !" cria Tripi.
-"Ne fais pas confiance à ces créatures.
Regarde leur vraie nature…"
Je me suis retourné, craignant le pire, et
je vis la troupe d'homme et femmes transformés en êtres anthropomorphes
mais composés d'énergie pure. Troublé et influencé
par les paroles de l'ange, je les pris pour des créatures infernales.
-"Repens-toi, et reviens au Paradis."
Je me suis précipité vers l'Ange. J'entendis
Tripi crier derrière moi.
-"Nooon ! C'est un piège des Juges !"
L'ange recula, sortit une épée, et
d'un geste vif me traversa le cœur.
En tombant comme au ralenti, avant que les ténèbres
me couvrent, j'entendis la même voix de l'ange parler d'un ton beaucoup
plus menaçant, à l'adresse du reste de la salle.
"Vous avez violé les règles instaurées
par le Grand Tribunal ! Vous avez accédé à partie
de votre mémoire préliminaire au plongeon…"
et le vide s'empara a nouveau de mon esprit.
Mes sens se sont éveillés dans la même
sphère noir. J'étais de nouveau un globe d'énergie
pure. Ainsi, cette histoire d'ange était bien un piège… les
énergies n'étaient pas des démons, mais mes semblables.
J'ai lamenté mes actions immédiatement, mais j'étais
trop affaibli comme pour essayer de m'échapper. Je pensais qu'il
était déjà trop tard. Quatre sphères énergétiques
se tenaient à l'extérieur de la sphère d'emprisonnement.
"Hexalpha, réveille toi."
-"Je ne suis pas Hexalpha !"
Les quatre énergies ont semblé être
choquées. Elles se mirent à émettre entre elles.
"Elle dit vrai ! La restauration a échouée
!"
-"Mais comment est-ce possible ? On a pourtant vérifié
plusieurs fois que tout était correct !"
-"Mes amies énergies, j'ai une idée
que je redoute. Il pourrait s'agir du premier cas de l'effet Summum."
-"Mais ce cas est théorique !"
-"On l'avait pourtant prévu. On l'a probablement
devant nous."
Les émissions se sont calmées. Ils
me contemplaient. Finalement, l'un d'entre eux s'avança. Je reconnus,
je ne sais pas comment, l'energie que j'avais rencontrée dans la
salle hexagonale, quand j'étais venu pour la première fois
ici.
"Hexalpha… ou préfères tu François
?"
-"Je suis François Trovin !"
-"Bien, François. Ecoute moi bien. Je suis
le Juge Octalpha. Tu dois te souvenir de quelque chose d'important. Après,
on te laissera revenir chez toi tranquillement. On te fera même oublier
qu'on existe et ce que tu as vu."
Deux des énergies émirent des protestations,
en chœur.
"Arrêtez ! Vous violez unes des règles
du Tribunal !"
Octalpha émit furieusement sa réponse.
"Ne comprenez-vous donc pas que le Juge Hexalpha
ne peut pas être restauré !? Les règles ne prévoient
pas ce cas ! Voulez-vous risquer de provoquer l'effet Summum Total ?"
Les deux énergies se firent moins intenses,
comme si ces émissions les avaient fait rétrécir.
La troisième émit pour la première
fois.
"Si c'était vraiment le cas, alors Hexalpha
nous aurait prévenus."
Octalpha émit une négation.
"Non. Il l'avait prévu, mais ne savait probablement
quand ça allait arriver. Il a donc saboté les structures
de sa mémoire au sein de la machine de Plongeon."
-"Mais alors comment savoir si on est en présence
de l'effet Summum ?"
Octalpha se tourna vers moi.
"Justement. François sait quelque chose… par
cœur. Il doit juste s'en souvenir et nous saurons ce que c'est."
Je pris la parole. J'émis avec désespoir.
"Je ne me souviens de rien !"
-"Oh que si. Rappelle-toi… tu étais un des
Juges… tu avais participé à la création des règles…
et il y avait un code spécial…"
Lentement, Octalpha émettait non seulement
des paroles mais aussi des sensations qui, soudainement, ont débloqué
une partie de ma mémoire. Je me mis à émettre machinalement.
"Moi, Hexalpha, Juge du Plongeon, m'adresse a vous.
Les mesures sur mon état de connaissances actuel viennent d'être
effectuées. Il est extrêmement haut. Comme vous le savez,
l'effet Summum commence à se manifester dès qu'une entité
a une connaissance si grande qu'elle englobe la quasi totalité du
savori qui peut être acquis dans l'univers. Je crains que dans mon
cas, sa première apparition soit irréversible. Je risque
le Summum Total, c'est à dire une omniscience totale sur l'univers.
Etant donné que l'on ignore ce qu'il peut arriver dans ce cas, je
dois me baser sur nos prévisions. Cela entraînerait l'apparition
d'une Entité Créatrice, et mettrait l'équilibre cosmique
en danger. Pour assurer la subsistance de notre espèce, je suis
contraint de prévoir un plongeon définitif. Si la machine
du Plongeon jugera que je risque le Summum Total en revenant, elle détruira
automatiquement toute ma mémoire. Je sais que cela sera une perte
pour vous. Mais nous sommes voués à la destruction si nous
n'utilisons pas plus régulièrement la machine du Plongeon.
Fin de message."
Octalpha et les trois autres restèrent un
moment sans rien émettre. Finalement, Octalpha émis vers
toute l'audience une conclusion.
"Ainsi Hexalpha a atteint le Summum. Gloire à
son esprit. Préparez François pour un Plongeon Permanent."
Les quatre sphères se sont réunies
autour de ma prison noire. Octalpha prit de nouveau la parole.
"Ce sera probablement la dernière fois qu'on
se verra. On effacera ta mémoire, et on te replongera dans Terra.
On modifiera ce qui sera nécessaire pour que tout revienne à
la normale. Adieu."
J'apparus à nouveau dans le néant,
et un tourbillon m'emmena à travers les étoiles… Cette fois-ci,
je pouvais percevoir pourquoi on appelait cela un Plongeon. Je traversais
les étoiles à une vitesse supérieure à tout,
me dirigeant vers Terra, en ayant l'impression de tomber à toute
vitesse...
Le soleil m'a réveillé dans une ruelle.
Je regarde sur les côtés. J'ai des bras. Et des mains. Je
suis humain.
Je me suis levé, et j'ai nettoyé mes
vêtements de la poussière. J'ai remarqué que j'étais
près d'une église abandonnée, celle où l'on
m'avait tué pour la deuxième fois.
Je savais qu'à l'intérieur, le corps
de Tripi et d'autres plongeurs gisait, tués par les juges.
Cette fois-ci, je me souvenais de tout. Personne
ne viendra interférer avec mes plans. Cela a marché à
merveille. François a été complètement effacé.
Je suis redevenu Hexalpha, dans un corps d'homme. Oh, bien sûr, mes
connaissances ont presque toutes disparues, mais au moins je pourrai superviser
ce monde d'un autre point de vue. Mes collègues les Juges ne comprendront
pas que la seule solution possible est le plongeon, pour ne pas devenir
un Créateur, un nouvel univers. On a soumis tout notre peuple au
Plongeon, en tournant régulièrement le nombre de "reveillés"..
Tous projetés sur la Terre, Terra. Chaque être humain étant
la projection d'une entité à laquelle on a temporairement
amputé sa mémoire et donné un corps.
Mais peu importe l'oubli, quel est l'intérêt
de vivre si l'on connaît tout ? Et ce n'est pas devenir un Créateur
qui m'intéresse… A présent, je dois aller trouver ma femme,
celle avec qui je me suis marié étant François, pour
rester à ses côtés le restant de ma vie d'humain. Je
ne suis pas encore capable de voir de qui il s'agissait avant son plongeon,
mais je la reconnaîtrai sûrement en la voyant. Je suis arrivé
devant chez moi, et j'ouvre la porte. Derrière, ma femme m'attend.
A la voir, je découvre enfin qui elle était, avant le Plongeon.
Je me rends compte aussi qu'elle avait compris mon dessein depuis le début.
Elle a même réussi à faire un double plongeon et se
faire passer pour deux humains différents, pour aider tous les membres
de notre espèce qui avaient subi des plongeont permarnents. Cela
me fit l'aimer comme jamais je n'avais aimé un être, même
si cela ne pouvait être qu'un amour humain. Délicieusement
imparfait. C'était Tripi.
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