Site News
Research
Texts
X-philo
Code
KB
Awards
Links
Site Map





Copyright (c)
2000-04
by Newsdee

    X-Philo forever !
 
 
 
 - Impossible Summum -
 
 
C'était trop stupide, de finir comme ça... J'étais revenu à la capitale après quelques jours en province, et je fêtais le bon déroulement de mon voyage avec des amis dans un bar. J'avais trop bu, et suis resté jusqu'à tard après que tous mes amis soient partis.  Ivre à mourir, je me suis engagé dans une bataille de bistrot que deux bandes ennemies ont commencé, et je fus poignardé au ventre. Perdant tout mon sang, je finis échoué dans un caniveau en ayant fui les secours, craignant qu'ils ne m'accusent des actions que je n'avais pas faites... mais je ne pus survivre bien longtemps... le poignard m'avait traversé le cœur, et la chaussé m'est subitement apparue très, non, plutôt trop près de mon visage.
 
Le néant, l'obscurité, le vide... La mort, c'etait cela... Je sentais mon esprit flotter, sans forme ni volume, sans exister, dans l'oubli. Je n'avais jamais ressenti cela, mais au fond de moi même, je savais que je ne faisais plus partie des vivants. Je n'etais que mon essence, sans matière, sans vie... Un être qui n'existe plus...
Tel a été mon état pendant longtemps, mais je ne saurais déterminer combien de temps est passe exactement... toute sensation avait disparue... Tout d'un coup, j'entendis... non, je sentis une vibration stridente et répétitive. Un message a traversé le vide, destiné a quelque chose que je ne pouvais pas percevoir.
 
- "Alerte: défaillance dans l'unité de restauration."
 
Il s'ensuivit une sensation encore plus étrange, celle d'un esprit qui se désagrège particule par particule: mon être devenait de plus en plus infime, jusqu'à disparaître totalement.
 
- "Effacement terminé."
 
Mes sens se sont éveillés dans ce que je sentis être une pièce. Le plus étrange était que je ne pouvais pas la voir, mais plutôt la sentir. J'ai connu instantanément chaque détail des murs, ainsi que l'emplacement de tous les objets présents à l'intérieur. Je me souvenais vaguement que j'étais supposé avoir deux jambes, deux bras, un corps, et une tête. Ainsi que des yeux. Mais je sentais aussi ma forme. J'étais un globe d'énergie lumineuse, sans aucune forme physique. Le plus troublant, peut-être, était que cette forme m'était totalement familière.
 
Je n'arrivais pas à me souvenir de mon nom, mais cela importait peu à présent. Je supposais que j'étais mort, et que ceci était une sorte de vie postérieure. Instinctivement, j'ai ordonné l'ouverture d'une brèche dans le mur, où je sentis l'apparition d'une sphère transparente qui était, je crois, un ersatz de vêtement. Quand j'y suis entré, j'ai instantanément pris le contrôle d'une espèce de véhicule en forme de cube, qui m'a emmené vers l'extérieur. Le ciel était d'une étrange couleur, mais j'étais incapable de la définir. En tous cas, j'avais comme l'impression qu'il avait toujours été comme cela, en dépit des cinq lunes qui se profilaient à l'horizon.
 
J'aperçus au loin d'autres cubes se déplacer, à l'intérieur desquels je pouvais sentir la présentes d'autres globes énergétiques. Probablement des êtres comme moi. Je n'ai pas essayé d'établir le contact, et me suis rendu compte que je dirigeais mon cube à un endroit précis, qui m'a semblé connu depuis toujours. Je me suis arrêté exactement devant.
 
C'était une gigantesque pyramide, qui se perdait dans les cieux. Elle n'avait pas de couleur définie, et un des côtés était plus lisse que les autres: l'entrée s'y trouvait. Une fois que je fus sorti du cube, une brèche s'ouvrit sur un flanc de la pyramide et me permit d'y accéder. Je me suis retrouvé face à un long couloir ascendant, qui donnait sur plusieurs pièces individuelles. Je savais précisément où aller, mais j'ignore comment cette connaissance m'est venue. Comme tout le reste de ces intuitions, c'était comme si je m'étais souvenu de quelque chose que j'avais l'habitude de faire, en revenant à un endroit que j'avais quitté il y a très longtemps. J'eus vite fait d'atteindre ma destination, une espèce de dodécaèdre orné d'un cylindre creux, qui constituait l'entrée. Je m'y engloutis, pour arriver à une large pièce hexagonale, au fond de laquelle un globe énergétique s'affairait autour d'instruments cristallins de mesure.
 
L'entité énergétique sentit ma présence, et émit une salutation.
"Hexalpha, chère entité amicale. Bienvenue de nouveau parmi nous."
 
Je savais que cette énergie me connaissait, mais j'étais incapable de me rappeler de qui il s'agissait. Mes souvenirs m'ont seulement permis de me diriger vers cet endroit. Et quelque chose me disait que je n'étais pas supposé être ni une femme, ni une 'entité', ni ce Hexchose.
 
Je ne pus qu'émettre un doute.
-"Qui... qui êtes vous ?"
 
L'énergie détecta la sincérité de ma question, et émit brièvement une sensation de terreur. Elle le dissimula très rapidement, cependant le bref éclair qui avait jailli de cette sphère était très net à mes sens. Elle se dirigea lentement vers un côté de la pièce, en émettant des ondes d'apaisements.
 
-"Ne t'en fais pas, tu t'en souviendras bientôt."
 
Elle fit s'activer une espèce de coupe renversée, ce qui eût pour effet l'apparition de quatre autres énergies quelques instants plus tard. La sphère principale émit à nouveau, en direction des quatre nouveaux venus.
 
"Entités Gardiennes, cette entité a subi une dégénération lors de la restauration. Veillez à ce que cela soit remis en ordre le plus tôt possible."
 
Les quatre énergies m'ont emprisonné avec une sorte de rayon, qu'elles ont émis depuis leur intérieur. J'ai tenté de m'en dégager, mais cela ne faisait que renforcer l'intensité du rayon qui me tenait prisonnier. Les quatre énergies m'ont ensuite emmené à l'extérieur et placé dans un grand cube translucide. Je fus emmené contre mon gré à un endroit que je reconnus être celui où je m'étais éveillé.
 
Je fus enfermé dans une grande sphère noire. Malgré sa couleur, je pouvais percevoir ce qu'il y avait à l'extérieur. Une pièce de forme pyramidale, avec une base carrée. Je n'arrivais pas à bien distinguer des détails de cette pièce, la seule chose que pus sentir avec certitude était la présence de trois grandes sources d'énergie. Comme ils restaient immobiles, je ne me suis pas rendu compte immédiatement qu'il s'agissait encore d'autres entités énergétiques.
 
Mais l'une d'elles se mit à émettre.
"C'est un cas intéressant. Aucune anomalie semble être présente dans la structure des particules énergétiques élémentaires. Sa structure externe est donc intacte et opérationnelle."
 
Une deuxième répondit.
 -"De plus, cette Entité ne semble pas défaillante intérieurement. Son énergie est au niveau normal."
 
Elles se turent à nouveau, et restèrent ainsi pendant quelques instants. Je me rendis subitement compte que la raison de ce silence était qu'ils sondaient mon être.
 
Finalement, la troisième sphère s'avança et émit en ma direction.
 -"Pouvez vous nous dire votre nom ?"
 
J'ai hésité un peu avant de répondre.
-"Non. Je ne sais pas comment je m'appelle."
 
Une fois reçues ces émissions, la troisième entité activa à distance un dispositif translucide. Subitement, de nombreuses sensations se mirent à traverser les parois de la sphère noire qui m'emprisonnait. Le nom de "Hexalpha" y revenait souvent. Je ne comprenais pas la plupart de ces sensations, mais je sentis cependant que c'était une sorte de projection d'expériences et informations. Cela était confus au départ, mais quand la confusion s'est dissipée, la vitesse à laquelle ces informations défilaient dans mon esprit commençaient à me brûler. Je sentis mon esprit prendre feu, comme un morceau de bois attisé par une friction violente. Cela généra une douleur insupportable. Je criais de désespoir.
 
-"Arrêtez !  Arrêtez !"
 
Les trois énergies observatrices se mirent à émettre à toute vitesse.
-"L 'assimilation semble être inférieure à un pour mille."
 
-"Ce n'est pas normal. Si sa structure interne est intacte, elle ne devrait pas avoir du mal à les percevoir."
 
-"Attendez, je détecte une rapide baisse d'activité énergétique au niveau interne !"
 
-"Mais, c'est totalement impossible !"
 
La douleur était si grande que je perdis subitement connaissance.
 
Je sentis l'apparition de ma conscience dans l'obscurité.
 
Quelque chose émettait, au loin.
"…probablement pas restaurer entièrement, mais la faire replonger dans Terra pourrait nous aider à étudier comment l'anomalie a pu se produire."
 
Sur ces émissions, quelque chose activa une machine, et le néant mis à se déplacer… comme si c'étaient des vagues provoquées par une grande masse jetée à l'eau. Je sentis ces vagues avoir un effet sur mon esprit, pour ensuite me sentir projeté à une vitesse démesurée dans un tourbillon qui traversait l'existence même de la matière.
 
 
Le soleil dans un ciel bleu.
Un éclair de lumière attaqua mes yeux, et par réflexe me suis protégé les yeux avec ma main. Je me sentais bizarre. J'étais couché sur une surface dure, à l'extérieur. Une brise légère et fraîche narguait ma peau. Et même si quelques instants auparavant j'étais quelque chose de totalement différent à un humain, je ne pouvais pas m'empêcher de me considérer, de me sentir, comme tel. Etait-ce un rêve ? Toujours est il que quand je retirai ma main, une jeune femme me regardait avec amusement.
 
J'aurais encore du mal à la décrire, non pas parce que je ne m'en souvienne pas, mais parce qu'elle n'avait aucune particularité. Elle ne semblait que ce qu'elle était, une jeune femme. Comme si j'avais été incapable de voir une autre de ses particularités comme la couleur de cheveux, ses yeux, ou sa taille.
 
Elle s'adressa à moi.
"Tu comptes rester longtemps jeté sur le trottoir comme ça ?"
 
Je me suis assis, et sentis une vive douleur dans mon torse. Un couteau y était enfoncé, très profondément. J'avais beaucoup saigné. Hébété, je portai mes deux mains au couteau. La fille continua à me narguer.
 
"Enlève-toi ce truc, ça fait désordre."
 
Je me suis arraché le couteau, qui était complètement couvert de sang coagulé. J'ai essayé de sentir ma blessure, mais elle n'était plus là. Aucune cicatrice était présente, comme si la blessure n'avait jamais existé.
 
"Ne fais pas cette tête là, c'est normal que ça soit comme ça. Sinon, t'aurais pas pu revenir."
 
Je me rendis compte avec horreur que la fille semblait avoir un lien avec ce que j'avais rêvé.
 
"Hou, on dirait que t'as vu la mort en face !"
 
Je me suis relevé, maladroitement, et j'ai commencé à m'éloigner de la jeune femme le plus rapidement possible. Je ne pouvais pas courir, toutes les articulations de mon corps me faisaient souffrir, mais je tentais quand même de m'éloigner désespérément de cette femme, ou quoi que ce soit d'autre.
 
"Attends !"
 
Je trébuchai. Je ne pouvais qu'implorer cet être de partir.
-"Laisse moi !"
 
-"Bon, si tu veux. Tant pis pour toi, j'aurais pu t'aider."
 
Sur ces mots, elle commença à s'éloigner. Plus calme, mais toujours haletant de terreur, je me suis retourné pour la contempler. Avant de disparaître dans une ruelle, elle se retourna, et cria en ma direction:
 
-"N'oublie pas qu'il y a d'autres comme toi ! Mais aussi que les Juges viendront te chercher !"
 
J'étais épuisé et horrifié. Je ne fis pas attention à ces mots, qui revinrent à l'esprit beaucoup plus tard. J'avais retrouvé un portefeuille dans ma poche, contenant ma carte d'identité. Je m'appelle François Trovin, et j'ai vingt sept ans. Je vis dans un appartement du centre de Paris, dans le onzième arrondissement. Puis je me souvins automatiquement du reste. J'étais marié. J'avais dit à ma femme que j'allais être en dehors de la capitale pendant quelques jours. Je devais revenir aujourd'hui.
 
Ma femme est arrivée quelques heures après que je soie rentré chez moi. Je m'étais lavé, et changé pour faire disparaître toute trace de sang qui subsistait sur mes vêtements. Je pris ma femme dans mes bras, plus fort que d'habitude. Jj'avais besoin de la sentir contre moi, de sentir quelque chose de réel. Je n'étais plus sûr de rien. Ma femme rigola.
 
-"Eh, attends au moins ce soir ! Aide-moi plutôt à nous faire à manger…"
 
Le reste de la soirée s'est passé sans grande histoire. Je n'étais pas trop d'humeur à parler, et je sentais une terrible dépendance envers ma femme. Elle et mon amour pour elle étaient les seules choses qui m'empêchaient, je pense, de sombrer dans la folie. Je ne lui ai pas parlé de mon incident de la nuit dernière. Tout semblait rentré dans l'ordre. Je me suis juré d'aller voir un psy le plus tôt possible dès que j'en aurai l'occasion. Mais la suite des événements ne m'en a pas laissé.
 
Cette nuit-là, j'avais commencé à faire l'amour à ma femme quand soudain elle se raidit. Je m'arrêtai, aussitôt, pensant qu'elle avait un malaise. Je lui ai demandé ce qui ne allait pas. Comme elle ne répondait pas, je me suis un peu écarté pour bien la voir. Elle me regardait fixement, avec des yeux durs. Elle ouvrit la bouche, et une voix qui n'était pas la sienne se fit entendre. Quelque chose en moi m'indiquait que cette voix n'existait pas physiquement, et qu'elle s'adressait directement à mon esprit.
 
"Hexalpha, il est temps de revenir !"
 
Une lumière se mit à jaillir de ses yeux et du fond de sa bouche. Avec horreur, j'ai sauté du lit et me suis dirigé vers la sortie, en attrapant quelques vêtements et en les enfilant une fois dehors, enfermé dans l'ascenseur qui descendait vers le rez-de-chaussée. Quand je traversais le hall d'entrée, la même voix jaillit du haut parleur de l'interphone.
 
"Tu ne peux pas échapper à ce que tu es !"
 
Je me suis élancé dans la nuit. Derrière moi, je sentais le regard de ma femme me fixer depuis le balcon. La voix avait disparue, et au loin j'entendais celle de ma femme, qui m'arrivait directement à mon esprit, comme la précédente.
 
"Ecoute les Juges, Hexalpha."
 
C'en était trop. Je courus de toutes mes forces jusqu'à tomber d'épuisement, au bord d'un des ponts de la Seine.
La ville illuminée se reflétait dans l'eau, et je me suis penché pour contempler mon reflet. J'avais l'air normal, si l'on excepte l'épuisement. J'étais clairement devenu fou. J'ai failli tomber à l'eau quand un autre visage se pencha a côté de moi. C'était la jeune femme que j'avais vu ce matin.
 
"Tiens, comme on se retrouve !"
 
Je me mis à reculer, et me suis heurté à un mur.
-"Non, éloigne toi !"
 
La fille posa une main ferme sur mon bras.
-"Calme toi, je ne fais pas partie des Juges."
 
Je ne savais pas quoi faire, ou dire.
-"Je… je… je suis vivant !"
 
-"Mais oui, bien sûr que tu l'es. Sinon tu ne serais pas ici à te les geler. Allez, viens, suis moi."
 
Je me suis laissé entraîner, elle était la seule personne qui semblait savoir ce qui m'était arrivé.
On a marché longtemps, en silence. A chaque fois que j'essayais de poser une question, la fille me répondait, moqueuse, que je saurai tout en temps voulu, mais qu'il était maintenant nécessaire de se cacher. Nous sommes entré dans un grand bâtiment qui semblait abandonné, et nous mîmes à descendre des escaliers. Je ne saurais dire combien on a descendu, mais cela semblait à un labyrinthe. Il s'agissait Probablement d'anciennes catacombes. Une porte poussiéreuse apparut dans une des parois. La fille sortit une clé de sa poche, et l'ouvrit.
 
"Bienvenue chez moi !" me dit-elle en m'invitant à y entrer.
 
L'intérieur était comme la jeune femme: d'une description insaisissable. Tout paraissait… étrangement normal. Si on n'était pas plusieurs mètres sous terre dans des sortes de catacombes, j'aurais pensé qu'il s'agissait d'un studio comme un autre dans n'importe quel appartement. Un lit était rangé sur le côté, faisant face à une sorte de petit bureau surplombé d'une étagère remplie de livres. Une petite cuisine composée d'un frigo, d'un four et d'un évier étaient placés à côté d'une porte qui, entrouverte, laissait voir partie de la salle de bains. La fille me fit m'asseoir sur le lit, et fit chauffer une tasse de soupe qu'elle me tendit. Elle en prit une autre pour elle. Je bus quelques gorgées, en silence. De la soupe aux poireaux et pommes de terre. Toute cette banalité me semblait apaisante, même si on était au milieu des catacombes.
 
"Bon", dit la fille, "je t'écoute. Je pense que tu veux quelques explications."
 
-"Euh…"
 
-"N'aie pas peur. Je te l'ai dit, je ne fais pas partie des Juges, et je devine très facilement ce qui t'est arrivé."
 
J'ai hésité pendant longtemps avant de parler. Finalement, les yeux rivés sur ma tasse, j'ai commencé à décrire ce que j'avais vu, très lentement.
-"Il y avait… ces sortes de tours en verre… et puis ces boules d'énergie qui me parlaient…"
 
La fille m'a interrompu:
"Est-ce qu'ils t'ont donné un nom bizarre ?"
 
Je fus surpris par cette question. En effet, c'était le cas. Je levai le regard, et tentai de me souvenir.
-"Euh… quelque chose comme Eksafa, ou Elalfa."
 
Le visage de la fille fut pris par un masque de stupeur.
"Hexalpha ?"
 
-"Euh… oui."
 
-"Mais ce n'est pas possible ! C'est vraiment toi Hexalpha ? Je veux dire, ils t'ont vraiment nommé comme ça ?"
 
Plus j'y pensais, plus j'en étais sûr.
-"Oui."
 
-"Bon, je pense qu'alors je ferais mieux de me présenter. Je m'appelais Tripi, et je faisais partie des Entités Gardiennes.", elle me vit frémir de terreur, "Non, attends, rassure-toi, je n'ai rien a voir avec celles que t'as vues. J'ai plongé définitivement dans Terra depuis plus longtemps que ça."
 
Je n'ai pas compris ce qu'elle voulait dire en ce temps là, mais j'eus l'impression que mon inconscient se sentait plus à l'aise.
 
"Ecoute…", elle continua, "si je t'expliquais tout maintenant tu n'en comprendrais pas un mot. Tu comprendras assez vite ce qui t'es arrivé. D'ailleurs, il m'est arrivé la même chose il y a longtemps. Seulement, comme je ne comptais pas autant que toi, Hexalpha, pardon, François, pour les Juges, ils ne l'ont pas remarqué, et j'ai été replongée dans Terra sans qu'on ait rien remarqué."
 
J'avais entendu ce nom trop longtemps
-"Mais, que sont ces Juges ? Et que signifie plonger dans Terra ?"
 
La jeune femme sourit, puis sembla lasse. De cet air las, elle m'expliqua evasivement.
-"Nous plongeons tous dans Terra tôt ou tard. Les Juges veillent à ce que les règles du plongeon soient respectées."
 
-"Les règles ?"
 
-"Chacun est libre de faire comme il l'entend, mais quand le temps de plongeon est terminé, il faut revenir. C'est pour ça qu'ils te cherchent."
 
-"Mais j'étais… ailleurs… et j'avais autre forme…"
 
La fille reprit un air sérieux.
 
-"Avant de continuer, est-ce que tu acceptes ce que t'as vu ?"
 
-"Le fait d'être une sphère d'énergie ?"
 
-"Exact."
 
Je ne savais pas quoi penser exactement.
-"Est-ce que c'était réel ?"
 
-"Oui."
 
-"Alors je l'accepte. J'ai perdu toutes mes certitudes."
 
-"Tu es juste sorti du plongeon et redevenu Hexalpha. Cependant, pour une raison que j'ignore, ils t'ont fait plonger à nouveau. Apparemment, ils veulent maintenant t'en faire sortir encore une fois."
 
Je restai silencieux. La fille ne parlait pas, elle semblait gênée. Finalement elle me posa une question :
 "Est-ce qu'ils ont mentionné une sorte de problème, ou de défaillance ?"
 
-"Euh... je ne sais pas."
 
-"Bon, il n'y a qu'un seul moyen de le savoir. Viens."
 
Elle se leva et se dirigea vers la porte. Je fis de même. Une fois dans les couloirs, elle referma la porte à clé et me fit marcher à travers un labyrinthe de tunnels.
Finalement, on arriva à ce qui semblait faire partie des égouts. Un escalier menait vers la surface, nous y sommes montés. On est sorti par une sorte de bouche d'égout ouverte, qui donnait à l'intérieur d'un bâtiment sombre. Les grandes fenêtres étaient clôturées par des planches en bois, et le peu de lumière qui s'y filtrait laissait voir quelques restes de vitraux. Le bâtiment était une ancienne église. La jeune femme, Tripi, me fit signe de m'asseoir sur un banc, et elle se concentra pour quelque chose pendant quelques instants. Je n'ai pas osé l'interrompre. Quand elle eût fini, elle me dit qu'elle avait appelé d'autres Plongeurs permanents, et qu'ils ne tarderaient pas à arriver.
 
Quelques instants plus tard, une demi-douzaine de personnes étaient arrivés. C'étaient des gens de tout âge, sexe et origine. Il y avait des clochards habillés en lambeaux, de grands cadres qui sentaient le parfum cher, une mamie, et même trois jeunes gens, deux femmes et un homme, qui avaient l'air normal. Tous étaient silencieux, en attendant que Tripi parle. Finalement, elle prit la parole.
 
"Amis Permanents, voici un de nous qui est perdu. Il ne se souvient de rien, comme nombre d'entre nous. Je vous ai appelés pour que vous m'aidiez à lui rendre la mémoire."
 
Elle se tourna vers moi.
 
"Ne t'en fais pas, tu dois juste te relaxer et te concentrer sur ce que t'as vu."
 
J'entrepris de faire ce qu'elle me dit, mais je ne pus me concentrer beaucoup du fait qu'une lumière vive se mit à jaillir du fond de la salle.
Un vent terrible emplit l'ancienne église. Quelque chose… d'ailé était apparu avec la lumière. Je ne suis pas croyant, mais cela était sans aucun doute un ange. Il me regarda, et me parla d'une voix douce.
 
"Viens, François. Tu dois revenir là où tu appartiens."
 
-"Ne l'écoute pas !" cria Tripi.
 
-"Ne fais pas confiance à ces créatures. Regarde leur vraie nature…"
 
Je me suis retourné, craignant le pire, et je vis la troupe d'homme et femmes transformés en êtres anthropomorphes mais composés d'énergie pure. Troublé et influencé par les paroles de l'ange, je les pris pour des créatures infernales.
 
-"Repens-toi, et reviens au Paradis."
 
Je me suis précipité vers l'Ange. J'entendis Tripi crier derrière moi.
 
-"Nooon ! C'est un piège des Juges !"
 
L'ange recula, sortit une épée, et d'un geste vif me traversa le cœur.
 
En tombant comme au ralenti, avant que les ténèbres me couvrent, j'entendis la même voix de l'ange parler d'un ton beaucoup plus menaçant, à l'adresse du reste de la salle.
 
"Vous avez violé les règles instaurées par le Grand Tribunal ! Vous avez accédé à partie de votre mémoire préliminaire au plongeon…"
 et le vide s'empara a nouveau de mon esprit.
 
Mes sens se sont éveillés dans la même sphère noir. J'étais de nouveau un globe d'énergie pure. Ainsi, cette histoire d'ange était bien un piège… les énergies n'étaient pas des démons, mais mes semblables. J'ai lamenté mes actions immédiatement, mais j'étais trop affaibli comme pour essayer de m'échapper. Je pensais qu'il était déjà trop tard. Quatre sphères énergétiques se tenaient à l'extérieur de la sphère d'emprisonnement.
 
"Hexalpha, réveille toi."
 
-"Je ne suis pas Hexalpha !"
 
Les quatre énergies ont semblé être choquées. Elles se mirent à émettre entre elles.
"Elle dit vrai ! La restauration a échouée !"
 
-"Mais comment est-ce possible ? On a pourtant vérifié plusieurs fois que tout était correct !"
 
-"Mes amies énergies, j'ai une idée que je redoute. Il pourrait s'agir du premier cas de l'effet Summum."
 
-"Mais ce cas est théorique !"
 
-"On l'avait pourtant prévu. On l'a probablement devant nous."
 
Les émissions se sont calmées. Ils me contemplaient. Finalement, l'un d'entre eux s'avança. Je reconnus, je ne sais pas comment, l'energie que j'avais rencontrée dans la salle hexagonale, quand j'étais venu pour la première fois ici.
 
"Hexalpha… ou préfères tu François ?"
 
-"Je suis François Trovin !"
 
-"Bien, François. Ecoute moi bien. Je suis le Juge Octalpha. Tu dois te souvenir de quelque chose d'important. Après, on te laissera revenir chez toi tranquillement. On te fera même oublier qu'on existe et ce que tu as vu."
 
Deux des énergies émirent des protestations, en chœur.
"Arrêtez ! Vous violez unes des règles du Tribunal !"
 
Octalpha émit furieusement sa réponse.
"Ne comprenez-vous donc pas que le Juge Hexalpha ne peut pas être restauré !? Les règles ne prévoient pas ce cas ! Voulez-vous risquer de provoquer l'effet Summum Total ?"
 
Les deux énergies se firent moins intenses, comme si ces émissions les avaient fait rétrécir.
 
La troisième émit pour la première fois.
"Si c'était vraiment le cas, alors Hexalpha nous aurait prévenus."
 
Octalpha émit une négation.
"Non. Il l'avait prévu, mais ne savait probablement quand ça allait arriver. Il a donc saboté les structures de sa mémoire au sein de la machine de Plongeon."
 
-"Mais alors comment savoir si on est en présence de l'effet Summum ?"
 
Octalpha se tourna vers moi.
"Justement. François sait quelque chose… par cœur. Il doit juste s'en souvenir et nous saurons ce que c'est."
 
Je pris la parole. J'émis avec désespoir.
"Je ne me souviens de rien !"
 
-"Oh que si. Rappelle-toi… tu étais un des Juges… tu avais participé à la création des règles… et il y avait un code spécial…"
 
Lentement, Octalpha émettait non seulement des paroles mais aussi des sensations qui, soudainement, ont débloqué une partie de ma mémoire. Je me mis à émettre machinalement.
 
"Moi, Hexalpha, Juge du Plongeon, m'adresse a vous. Les mesures sur mon état de connaissances actuel viennent d'être effectuées. Il est extrêmement haut. Comme vous le savez, l'effet Summum commence à se manifester dès qu'une entité a une connaissance si grande qu'elle englobe la quasi totalité du savori qui peut être acquis dans l'univers. Je crains que dans mon cas, sa première apparition soit irréversible. Je risque le Summum Total, c'est à dire une omniscience totale sur l'univers. Etant donné que l'on ignore ce qu'il peut arriver dans ce cas, je dois me baser sur nos prévisions. Cela entraînerait l'apparition d'une Entité Créatrice, et mettrait l'équilibre cosmique en danger. Pour assurer la subsistance de notre espèce, je suis contraint de prévoir un plongeon définitif. Si la machine du Plongeon jugera que je risque le Summum Total en revenant, elle détruira automatiquement toute ma mémoire. Je sais que cela sera une perte pour vous. Mais nous sommes voués à la destruction si nous n'utilisons pas plus régulièrement la machine du Plongeon. Fin de message."
 
Octalpha et les trois autres restèrent un moment sans rien émettre. Finalement, Octalpha émis vers toute l'audience une conclusion.
"Ainsi Hexalpha a atteint le Summum. Gloire à son esprit. Préparez François pour un Plongeon Permanent."
 
Les quatre sphères se sont réunies autour de ma prison noire. Octalpha prit de nouveau la parole.
"Ce sera probablement la dernière fois qu'on se verra. On effacera ta mémoire, et on te replongera dans Terra. On modifiera ce qui sera nécessaire pour que tout revienne à la normale. Adieu."
 
J'apparus à nouveau dans le néant, et un tourbillon m'emmena à travers les étoiles… Cette fois-ci, je pouvais percevoir pourquoi on appelait cela un Plongeon. Je traversais les étoiles à une vitesse supérieure à tout, me dirigeant vers Terra, en ayant l'impression de tomber à toute vitesse...
 
Le soleil m'a réveillé dans une ruelle. Je regarde sur les côtés. J'ai des bras. Et des mains. Je suis humain.
Je me suis levé, et j'ai nettoyé mes vêtements de la poussière. J'ai remarqué que j'étais près d'une église abandonnée, celle où l'on m'avait tué pour la deuxième fois.
Je savais qu'à l'intérieur, le corps de Tripi et d'autres plongeurs gisait, tués par les juges.
 
Cette fois-ci, je me souvenais de tout. Personne ne viendra interférer avec mes plans. Cela a marché à merveille. François a été complètement effacé. Je suis redevenu Hexalpha, dans un corps d'homme. Oh, bien sûr, mes connaissances ont presque toutes disparues, mais au moins je pourrai superviser ce monde d'un autre point de vue. Mes collègues les Juges ne comprendront pas que la seule solution possible est le plongeon, pour ne pas devenir un Créateur, un nouvel univers. On a soumis tout notre peuple au Plongeon, en tournant régulièrement le nombre de "reveillés".. Tous projetés sur la Terre, Terra. Chaque être humain étant la projection d'une entité à laquelle on a temporairement amputé sa mémoire et donné un corps.
 
Mais peu importe l'oubli, quel est l'intérêt de vivre si l'on connaît tout ? Et ce n'est pas devenir un Créateur qui m'intéresse… A présent, je dois aller trouver ma femme, celle avec qui je me suis marié étant François, pour rester à ses côtés le restant de ma vie d'humain. Je ne suis pas encore capable de voir de qui il s'agissait avant son plongeon, mais je la reconnaîtrai sûrement en la voyant. Je suis arrivé devant chez moi, et j'ouvre la porte. Derrière, ma femme m'attend. A la voir, je découvre enfin qui elle était, avant le Plongeon. Je me rends compte aussi qu'elle avait compris mon dessein depuis le début. Elle a même réussi à faire un double plongeon et se faire passer pour deux humains différents, pour aider tous les membres de notre espèce qui avaient subi des plongeont permarnents. Cela me fit l'aimer comme jamais je n'avais aimé un être, même si cela ne pouvait être qu'un amour humain. Délicieusement imparfait. C'était Tripi.
 
 
- Newsdee(1998)